Le plus célèbre des poèmes chinois composé par le poète Li Baï s’intitule Jing Ye Si : pensées de nuit calme.
Il s’achève ainsi : « Je lève les yeux vers la lune, abaissant la tête, je pense à mon pays natal ». Dans la culture chinoise, la lune est ce point fixe et changeant, qui permet à nos regards errants de nous tourner non pas vers l’ailleurs, mais vers nous-mêmes. La lune des paysages de Huang Xiaoliang agit comme un compas cosmique qui prend la mesure de la distance qui nous sépare de notre enfance, elle est cette mémoire qui floute les souvenirs visuels et les sentiments. Ces photographies s’organisent comme des poèmes chinois, à partir d’instants pris dans des halos lunaires, qui structurent un travail nocturne et le silence qui l’accompagne.
Le monde apparaît à travers un même motif géométrique, symbolisé le plus souvent par des fenêtres à croisillons. Cette façon d’encadrer notre regard et de le projeter sur des scènes domestiques, pourrait nous orienter vers un questionnement occidental sur les notions de cadre, de point de vue, de solitudes et même de malaise existentiel.
Mais replongeons-nous dans la culture chinoise. Ce qui se joue ici relève de l’expérience personnelle d’un artiste qui assume son héritage. Le photographe observe un monde chinois qui ne fait pas de bruit, une Chine anonyme toujours au travail qui s’appuie sur un temps cyclique et routinier. L’artiste se sait plus proche des paysages brumeux de Mi You Ren (peintre du 12ème siècle) que de l’inquiétude vide des toiles d’Edward Hopper.
Car ces « fenêtres lunaires » invitent davantage à l’instauration d’un climat tranquille, qu’à la mise en place d’un suspense. Qu’il s’agisse d’une sortie d’usine, d’un immeuble découpé par toutes sortes d’activités et de logiques relationnelles, le leitmotiv est le même : « Silence ! la vie continue, elle doit continuer… ».